C'est donc le nouveau chemin [PV Sery]

Malgré moi et malgré tout, dans une semi-conscience mentale, j'avais envoyé une petite troupe de soldats sur les traces de Valdios afin de ne pas le perdre de vue. Je voulais savoir ce qu'il comptait faire, et s'il allait réellement quitter les environs, comme je le lui avais ordonné. Je ne voulais plus risquer de le croiser aux alentours de mon royaume ! Je ne voulais pas risquer de revenir sur ma décision qui était la seule possible...


Galopant dans le désert, les cinq chevaux solidement harnachés foulaient de leur sabots le sable qui avait été marqué récemment par un autre animal. La piste était encore fraiche et les cavaliers la suivaient depuis un moment, sans trop s'en approcher pour ne pas risquer de se faire repérer. Et tout aurait pu continuer comme cela durant encore un bon moment si le temps n'avait pas joué contre eux. En effet, un nuage de sable vint bientôt perturber la vue des cinq hommes qui s'arrêtèrent aussitôt. C'était du suicide de se jeter là-dedans... Et si le fugitif y était, il ne devrait sans doute plus rien rester de lui dans les heures à venir. Ils n'avaient plus qu'à tourner les talons et à rentrer pour annoncer leur échec à la Reine. Il n'y avait pas besoin de perdre des vies pour une mission de ce genre. Le supérieur de la petite bande connaissait assez bien Son Altesse pour savoir qu'elle n'aimait pas sacrifier des vies inutilement. Ils rebroussèrent chemin en quatrième vitesse afin de ne pas être pris dans la tourmente, qui manqua de les rattraper alors qu'ils atteignaient les abords d'Eternia. Ils étaient sauvés, mais à présent ils devaient rentrer et annoncer à la Reine qu'ils avaient perdu de vue l'homme qu'ils poursuivaient...

Les cinq hommes déposèrent leur monture aux écuries et laissèrent les écuyers du palais s'en occuper. Ils parcoururent les couloirs rapidement, faisant cliqueter leurs épées et voler leur cape dans leur sillage. Ils étaient pressés et les domestiques s'écartaient sur leur passage. Ils arrivèrent dans la salle du Trône qui était totalement vide, mis à part la Reine qui était installée sur son trône, serrant sa fille dans ses bras. Elle tourna aussitôt son regard vers eux, surprise de les voir revenir si tôt. Après avoir s'être agenouillés devant elle, elle leur permit de parler.

- Votre Altesse, nous sommes désolés. Nous avons perdu le fugitif dans une tempête de sable...

Vous l'avez perdu ? En êtes-vous certain ?

-Oui, Votre Altesse.

Que s'est-il passé ? Faites-moi votre rapport, lui demandai-je en laissant distraitement mes doigts caresser la joue de ma fille.

-Nous avons suivi sa trace jusqu'au désert. Elle était bien visible, il n'y avait aucun problème. Nous restions à une distance raisonnable, comme vous nous l'aviez ordonné, afin qu'il ne se doute de rien. Nous pensions le suivre encore un moment alors qu'il se dirigeait vers le repère des brigands, mais la tempête s'est soudainement levée. Nous avons jugé bon de revenir car cela aurait été suicidaire de nous aventurer dans la furie. Il doit être mort ou agonisant à l'heure qu'il est, à moins qu'il n'ait eu beaucoup de chance... Nous sommes revenus ici aussitôt pour vous faire notre rapport, Votre Altesse. Veuillez, dans votre immense bonté, pardonner notre échec.

J'écoutai le résumé de son rapport sans l'interrompre. Ensuite, je restai silencieuse, assez frustrée de ne pas avoir eu ce que je voulais ! Frustrée autant que je me sentais trahie, à vrai dire.

Gardes ! appelai-je soudain, ma voix résonnant dans l'immense pièce vide. Si j'avais ne serait-ce qu'accordé un regard aux cinq soldats, j'aurais pu voir dans leurs yeux une certaine peur face à mon intervention. Mais cela m'importait peu pour le moment. Les gardes postés devant les grandes portes entrèrent et vinrent s'agenouiller devant moi.

-Vous nous avez demandés, Votre Altesse ?

Oui. Allez chercher les émissaires résidant au palais et faites venir les autres dans les plus brefs délais. Je ne me contenterai pas des quelques rares sujets qui sont ici, ils doivent être plus nombreux ! Allez-y.

-Bien, Votre Altesse.

Les deux gardes quittèrent la pièce en toute hâte, accomplissant la mission que je venais de leur confier.

En attendant l'arrivée des émissaires, je reportai mon attention sur les cinq soldats devant moi. Ils semblaient rassurés par le fait que les gardes ne les avaient pas emmenés. Je réfléchis un long moment avant de reprendre la parole :

Vous auriez dû préciser : votre lamentable échec ! Je vous avais ordonné de ne pas le perdre de vue et vous revenez bredouille en criant sur les toits qu'une tempête de sable vous a arrêté, vous, l'élite des soldats du royaume ?! Et vous arrivez en me demandant pardon... Je rêve ! Savez-vous seulement qui était cet homme ? Non, si vous le saviez, vous ne penseriez même pas à le considérer mort ! Cet homme que vous poursuiviez n'est autre que Valdios Vanna Tenebraüser, ancien empereur des Territoires Gelés ! Il ne se laisserait pas avoir par une petite tempête de sable. Pas comme vous, en tout cas ! Je vous avais donné un ordre, je vous avais confié une mission, et vous ne m'avez pas obéi, vous ne l'avez pas accomplie !

En temps normal, j'aurais été déçue, mais jamais je n'aurais pensé à ce que je pensais. J'avais envie de les envoyer au cachot, de les punir pour ce que je prenais pour un affront à ma personne, une désobéissance grave ! A l'heure qu'il était, Valdios devait déjà être loin, et hors de portée... Il n'y avait plus que les émissaires qui pouvaient le retrouver ! A moins que je n'organise des patrouilles et des contrôles aux frontières d'Eternia...
Néanmoins, dans l'immédiat, c'était le sort de ces cinq... déserteurs qui devait retenir mon attention ! Ne devais-je pas faire un exemple, afin de montrer à tous ceux qui oseraient me désobéir ce qu'ils encouraient ? Si, c'était la meilleure chose à faire ! Si je ne le faisais, on ne me prendrait jamais au sérieux ! J'en avais assez d'être la risée du Conseil, et la victime des quolibets que les soldats se prêtaient dans mon dos !!

Et vous voudriez que je vous pardonne... Non mais, pour qui me prenez-vous ?? Tout ce que vous méritez, c'est une cellule, de l'eau et du pain sec ! C'est d'ailleurs là votre prochaine destination ! J'ose espérer que vous saurez l'atteindre cette fois...

-Mais Majesté...

Seriez-vous en train de discuter une nouvelle fois mes ordres, Lieutnant Flowd ?

Il me fixa, assez surpris et de manière plutôt négative. Apparemment, il n'en revenait pas ! C'était ce qui devait se passer. Personne ne devait en revenir ! Et peut-être qu'on me considérerait enfin comme une Reine digne de ce nom... Le Lieutnant baissa les yeux, vaincu. C'était un pas en avant !

-Non, Votre Altesse... Jamais je n'oserais m'opposer à vos ordres. Nous vous obéirons, puisque tel est votre désir.

Tant mieux ! Gardes ! Vous pouvez les emmener.

Une dizaine de gardes venaient de pénétrer dans la pièce et ils rejoignirent les soldats qui les suivirent sans résistance.

Je me retrouvai à nouveau seule avec Amy. Même éveillée, elle restait calme. Et, dans ce silence, elle me calmait un peu... J'avais envie de crier, de pleurer, de faire sortir ce nœud qui m'enserrait la gorge et qui me broyait le ventre. Mais je ne pouvais pas... Je ne devais pas le faire... Le seul moyen de m'en empêcher, c'était de reporter tous ces sentiments négatifs sur ceux qui m'entouraient. Et tant pis pour eux, je souffrais trop pour me soucier de les prendre avec des pincettes.
Bien entendu, Amy ne faisait pas partie de tout cet amas de larbins qui étaient à mes ordres. Non, Amy était le seul visage que je contemplais, le seul que je détaillais, le seul que je voyais vraiment... Ils n'étaient devenus que des corps, rien de plus. Mais elle était elle, elle était ma fille, mon trésor ; le seul objet de mon amour, à présent. Ma seule source de bonheur, si un jour j'avais la chance de le ressentir à nouveau...

Oh Amy... Tu ne peux pas savoir comme je me sens mal... ! Tu ne peux pas imaginer à quel point il m'a fait mal en m'avouant cela... Je me demande comment je tiens encore debout après ça !

Je serrai mon bébé contre moi et posai un baiser sur son front, retenant les larmes qui voulaient encore rougir mes yeux.

Mais ne t'en fais pas, je vais m'occuper de toi, et toute seule ! Nous n'avons pas besoin de lui !! S'il préfère aller voir ailleurs, qu'il le fasse, je me débrouillerai... Je t'aime, mon coeur, c'est tout ce qui compte !

Je pris une grande inspiration, puis recommençai, pour essayer de refouler toutes ces émotions, toute cette tristesse plus profondément en moi. Mais la détresse que je ressentais était pour l'instant plus forte que moi. Je me demandais vraiment comment j'allais réussir à survivre à ça...

Je ne m'autorisai pas plus à verser une larme. Je me connaissais trop bien pour savoir que si une seule venait à nouveau à franchir cette mince frontière, les autres plongeraient à leur tour sans que je puisse les arrêter. Le barrage céderait aussitôt une fuite découverte...

Quatre émissaires entrèrent dans la salle du trône. Ne désirant pas m'attarder sur ce sujet, je décidai de faire vite. Je leur expliquai la situation telle que je voulais la leur dévoiler, et ils acquiescèrent tant devant le ton de ma voix que devant moi... Après tout, j'étais la Reine d'Eternia, et eux aussi me devaient obéissance !

Si jamais vous échouez, ajoutai-je après cette petite réunion, vous pouvez être sûrs et certains que le cachot vous accueillera ! Les cellules sont vides depuis bien trop longtemps, et elles ne demandent qu'à être remplies à nouveau ! Il est donc dans votre intérêt de me ramener de bonnes nouvelles...

Eux aussi furent surpris par mes paroles. Mais je voulais qu'ils le retrouvent, et si ça ne fonctionnait pas en étant gentille, il ne me restait plus que la menace pour solution. La menace et, si cela ne suffisait pas, la sentence promise... Moi qui avais toujours haï toute forme de violence quelconque, voilà que je me mettais à jouer au jeu souvent alloué aux hommes. Moi qui n'avais jamais pu supporter toute cette mascarade, je faisais mon entrée dans ce bal qui m'était jusqu'alors inconnu...

Après ces quatre émissaires, qui étaient déjà partis pour remplir leur mission, les autres arrivèrent. Je leur servis le même discours tout aussi déconcertant pour eux et ils s'empressèrent de suivre l'exemple des premiers. En tout, une vingtaine d'émissaires furent envoyés aux quatre coins du monde. Ils avaient pour mission de me ramener la moindre information, le moindre fait de celui que je considérais à présent comme un traître envers mon cœur... Ils devaient questionner toutes les personnes susceptibles de les aider.

J'assistais aux Conseils en attendant assez impatiemment les nouvelles, qui mettaient assez longtemps à arriver. A bout de nerf, je fis enfermer la moitié des conseillers qui n'en revinrent pas. Je les avais menacés plusieurs fois, mais jamais l'un d'eux n'avait foulé le sol froid et crasseux des cachots. Et là, ils étaient une demi-douzaine à y avoir droit. Ils ne seraient certainement pas les derniers...

Deux émissaires pénétrèrent dans la salle du Trône alors que je réfléchissais, prenant une petite pause. Je les accueillis d'un regard critique. Ils s'agenouillèrent devant moi et me saluèrent. Ils avaient l'air assez confiants, j'espérais qu'il y avait de quoi !

Eh bien, parlez !

-Votre Altesse, nous avons aperçu Valdios Vanna Tenebraüser en ville il y a environ une demi-heure, me révéla le premier d'un air triomphant. Je me redressai sur mon siège et le fixai, attendant la suite.

En ville ? Entre nos murs ?!

-Oui, Majesté. Il était apparemment accompagné par un brigand qui venait de voler des fruits. Ils ont certainement eu un différend car l'homme l'a mis à terre, et c'est de cette façon que son visage a été mis à découvert. Il s'est aussitôt enfui, mais nous avons envoyé une troupe de soldats sur ses traces avec pour mission de ne pas le perdre de vue une seule seconde ! Ils ne commettront plus l'erreur de le lâcher d'une semelle...